Archives mensuelles : mars 2006

La Demeure du Chaos – suite. XVIII

La Demeure du Chaos – suite.

Décidément c’est le monde à l’envers.

Suite au procès qui a fait « entrer la Demeure du Chaos dans l’histoire de l’art », comme le titre notre honorable confrère le Journal des Arts, c’est une véritable foule en procession qui va chaque week-end visiter le Temple de l’Art furieusement contemporain.

Renfort de pelotons de gendarmerie, cellules de crises, Préfecture en alerte, il faut gérer chaque week-end 7 000 à 10 000 visiteurs venus de toute part et parfois de très loin. Ehrmann, notre plasticien déjanté, jubile car chaque visiteur ébahi est un nouveau converti à l’art du Chaos.

Un haut représentant du Ministère de la Culture n’hésitait pas à dire avec une certaine ironie qu’en 3 mois, la Demeure du Chaos aura accueilli plus de
120 000 visiteurs, soit l’équivalent d’une manifestation nationale telle que la Biennale d’Art Contemporain …

D’autres, plus politiques, voient dans les dizaines de milliers de pétitions une fabuleuse machine de guerre où élus de gauche et de droite, et non des moindres (suite dans les prochains épisodes de Lyon People), rêvent de devenir commandeurs des Arts et des Lettres en arrêtant le conflit Ehrmann / Mairie de Saint-Romain-Au-Mont-d’Or.

Côté scoop, Lyon People ne s’était pas trompé. Les Nuits Sonores créent le Chaos Sonore.
On imagine le pire : entre Vincent Carry, éternel trublyon de la scène musicale underground, et notre démiurge, dans leur coproduction chaotique du festival des Nuits Sonores du 24 au 28 mai 2006.
Une affiche mythique des Nuits Sonores est en préparation dans laquelle la Demeure du Chaos est fusionnée dans l’œuvre signée par Bertrand Lacombe.
Le même Bertrand Lacombe est en train de préparer une installation hallucinante, avec Sophie Dejode sur le thème des caméras vidéo interactive.

En dernière nouvelle, deux unités d’habitation abritent jusqu’à fin novembre 2006 successivement plus de 300 taggeurs venant en artistes invités de toute l’Europe.
A lire les noms, Ehrmann ne fait pas dans la demi mesure : ce sont bien les poids lourds du Street Art de Berlin, Londres, Barcelone, qui débarquent à la Demeure du Chaos. Bonjour l’ambiance …

La Demeure du chaos est-elle K.O. ?

La Demeure du chaos est-elle K.O. ?

L’an dernier, nous avions publié un article sur la Demeure du Chaos de Thierry Ehrmann, à Saint-Romain aux Monts d’or (1). Rappelons que le PDG du groupe Serveur avait, il y a quelques années, pris la décision de radicalement transformer sa vieille demeure bourgeoise en faisant appel à divers artistes, et en mettant lui-même la main à la pâte. Voitures brûlées, murs fondus au chalumeau thermique, avion et hélicoptère crashés dans la cour, réplique des Twin Towers effondrées… la Demeure du Chaos se veut à l’image de notre époque : sombre et violente. Depuis un an, la maison a beaucoup évolué, et le débat juridique qui l’entoure aussi. On savait que le maire de ce petit village avait demandé la destruction de l’ensemble. Le Tribunal de grande instance a statué le 16 février sur le démantèlement du dispositif et le « retour à la normale ». La remise en état des lieux doit intervenir dans un délai de six mois sous astreinte quotidienne de 75 euros. En outre, Ehrmann s’est vu condamné à 20.000 euros d’amende, sa société à 100.000.
Les conclusions du procès sont intéressantes : d’une part, le tribunal reconnaît la Demeure du chaos comme étant une œuvre d’art, statut que lui niaient jusqu’alors ses adversaires. Mais elles la considèrent comme une « œuvre d’art totale, globale », dépassant donc la limite volumétrique de 40 m3 fixée par la loi pour une œuvre d’art. Alors que l’ensemble est constitué de plusieurs œuvres pour lesquelles Ehrmann et les artistes ont bien pris garde de ne pas outrepasser ces dimensions.

Une phrase soulèvera de nombreuses questions : « L’indispensable liberté de création de l’artiste doit trouver ses bornes dans la loi, expression de la volonté générale. »

Si la Demeure du chaos était constituée de cadavres dépecés par un tueur en série, on comprendrait que la loi se montre sévère. Qu’y a t’il de si dangereux en définitive avec la Demeure du Chaos ? Est-ce la peur qu’elle soit à l’origine d’une épidémie créatrice ? Que tout le monde, d’un seul coup, soit pris d‘un désir radical de transformer l’apparence de sa maison ? La Demeure trouve en effet des échos chez des voisins qui se sont mis à ériger des sculptures dans leur jardin, tout cela dans une ambiance plutôt bon enfant. Mais il ne faut pas exagérer : la grande majorité des êtres humains ne ressentent pas le besoin de se démarquer, et la plupart n’ont ni le temps, ni les moyens financiers de se lancer dans de telles activités. On en concluera donc que les autorités s’inquiètent quand les citoyens font preuve d’imagination. Est-ce aussi parce que la Demeure a été décrétée d’une laideur repoussante ? Soyons honnêtes, elle est plus « belle » que nombre d’immeubles construits dans nos villes par des architectes et promoteurs peu soucieux de la forme…
Pour l’heure, Thierry Ehrmann et les artistes ont décidé de réagir en lançant une pétition (www.demeureduchaos.org). On observe actuellement une certaine émulation autour de la Demeure à St Romain, avec un nombre de visiteurs qui ne cesse d’augmenter.

Richard Leydier

(1) Voir artpress 312 mai 2005, p. 36.

« La Demeure du chaos est rentrée dans l’histoire »

THIERRY EHRMANN,
président du groupe Serveur et d’Artprice.com, et sculpteur

« La Demeure du chaos est rentrée dans l’histoire »

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Que devient votre « Demeure du chaos » ?
L’aventure artistique se poursuit plus que jamais et je continue à installer mes propres sculptures monumentales : la dernière en date, Overground, en acier, mesure 11 m de haut et pèse 63 tonnes. J’ai fait appel du jugement du tribunal correctionnel de Lyon du 16 février 2006, m’opposant à la Mairie de Saint-Romain-au-Mont-d’Or (Rhône). Ce jugement, qui reconnaît que « la Demeure du chaos est indiscutablement une œuvre d’art », considère que cette œuvre d’art doit être prise en compte dans sa globalité, et que nous avons dépassé les limites de l’œuvre d’art exemptée de déclaration (en effet, l’article R421-1 du code de l’urbanisme exempte de déclaration les œuvres d’art n’excédant pas 12 m de haut et/ou 40 m3). Ce procès est suivi de très près par le monde artistique et politique et fait déjà l’objet de nombreux débats chez les juristes. Nous avons lancé une pétition avec un objectif de 70 000 signatures à remettre au ministre de la Culture. Avec un peu de recul, ce jugement fait rentrer la « Demeure du chaos » dans l’histoire de l’art, le tribunal ayant demandé en substance la remise en état, donc la destruction de l’ensemble de l’œuvre des artistes qui ont détourné cet ancien relais de poste du XVIIe siècle. Située à Saint-Romain-au-Mont-d’Or et s’étendant sur 12 000 m2, la  » Demeure du chaos  » est une œuvre d’art de collaboration. Depuis 1999, 2 700 œuvres d’art réalisées par une cinquantaine d’artistes y cohabitent. Elles sont toutes nommées, fichées, gérées et leurs droits déposés dans les sociétés de droits d’auteur. Je poursuis la démultiplication de l’art avec comme postulat d’origine : » tout œ qui reste de l’apparat bourgeois doit se noyer dans un état de guerre permanent  » Actuellement, nous sommes en train de monter neuf bunkers de Mathieu Briand, un jeune poids lourd de l’art contemporain sur la scène internationale, et Nicolas Delprat travaille à une installation monumentale. J’invite tout le monde à venir voir sur place ou à consulter www.demeureduchaos.com.

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Armelle Malvoisin-Bianco

copyright ©2006 Le Journal des Arts 17-30 mars 2006

The Neighbor from Hell by artpress

la Demeure du Chaos
de Thierry Ehrmann

Thierry Ehrmann,
the Neighbor from Hell

Travelling upstream along the River Saône from Lyon one comes to Fontaines and, a few meters before Paul Bocuse’s famous restaurant, a strange billboard, graffitied with a sinister skull and the words, « Chaos dwells at Saint-Romain. » A few kilometers further along, here finally is the quiet village thus named, Saint-Romain-au-Mont-d’Or. Well, not that quiet, in fact. Because recently Thierry Ehrmann, CEO of the Serveur group and of Artprice.com has set about « deconstructing his property » and turning it into the « Home of Chaos », a huge work of destruction that is not to everyone’s taste.

The first time I went to the Domaine de la Source, that historic (1) building looked rather different from what we see today. When Thierry Ehrmann bought it with a view to making it both his home and company headquarters, it was a bourgeois manor of some 100,000 square feet, built in the famous golden stone of the Monts d’Or and standing in the privacy of a walled park. But since 2001 this Domaine de la Source has gradually become the Home of Chaos and the walls no longer hide a thing -on the contrary. The scene today is one of desolation, worthy of John Carpenter’s New York 1999. Apocalyptic. On the parking lot a score of charred autos look like wreckage from inner city riots or a terrorist attack. All around, huge meteorites have dug craters while further on a plane has crashed into the garden. But the most spectacular part of all is no doubt the miniature replica of the ruined World Trade Center, a ten-meter sculpture made with 18 tons of steel and 90 tons of concrete. Nearby, ehrmann plans a Berlin Wall that will be transformed into the barrier being put up by Israel in the West Bank.
In places the facade of the house itself has been liquefied, the fine gold stone turned into a muddy lava by a thermal lance. Everywhere you look are metal salamanders and enameled plaques by Ben, esoteric symbols, frescoes, metal beams apparently propping up the brutalized walls. The interior has been transformed too. In Ehrmann’s office, Renaissance paintings and furniture have been replaced by welded metal, rubble walls and cables hanging from the ceiling, making this strategic room look like the headquarters of a secret organization. On the half-collapsed staircases leading to the apartments are strange sculptures and frescoes. The dominant colors, red and black, also play an important role in the symbolism of alchemy. Thus, on the wall of a windowless room called the « Temple of Sex », a huge portrait of Bin Laden evokes the red work while, on the facing wall, the face of George W. Bush symbolizes the black work. It would be impossible to describe all the details -besides the house keep changing. Anny Brunelle, Nicolas Delprat, Marc Del Piano and Ben are among the artists who have helped Ehrmann on this work in progress so far. Next up is the construction of Rudy Ricciotti and Mathieu Briand’s bunker, which will house the Organe, a contemporary art museum. In the apartments the floors will be replaced by ropes so that residents can walk through the air. The rest rooms will be popened up and chemical toilets fitted. As Ehrmann puts it, « It’s the day after. » The atmosphere is one of post-atomic chaos, post-civil war, something very contemporary, not unlike what you see on the TV news. Ehrmann describes himself as a news addict. He must have noticed how the word « chaos » has become a media catch-all, a way of saying that the horror couldn’t get any worse. That’s why he wanted to give tangible and spectacular form to this slow collapse of a mutating world, in a gigantic installation including all the world’s major events and figures -religious, political and intellectual. And without moralizing. But why in his own home? For practical reasons, sure, but also because looking after a nice little property investment probably doesn’t rock Ehrmann’s world. The man is a gambler. To understand how a millionaire with a Midas touch came to be where he is you have to delve into his biography. His is no smooth business profile. The son of an influential member of Opus Dei, Ehrmann made his first big bucks in the 1980s on the back of telematic Minitel, boxing and a whole host of equally incongruous activities. He makes no secret for his mystical past as a Freemason and alchemy nut. Anyway, in the 1990s he founded Artprice, a company specializing in online information about, well, the price of art. The art world got to talking about him when he sponsored the 1999 Lyon Biennale. Ehrmann is an inveterate orgy man and a bigamist. The whiff of sulfur hangs about his person. Some say he is the Devil. And so the shadow of Beelzebub also appears on one painted wall, while upside-down portraits of the twentieth century’s greatest thinkers on the facade add another degree of Satanism. (It is even said Ehrmann had Monseigneur Delorme perform an exorcism on him.) Our modern Satan is building (or unbuilding)a contemporary Inferno in a little village outside Lyon. Stone by Stone. The original neighbor from hell, at least for many locals. The mayor of Saint-Romain has done everything in his power to thwart this « architectural sacrilege » but in vain. A member of the governing party (the UMP) even suggested a special law to bring artworks within the range of urban planning regulations. But he withdrew it. Because this is, officially, a work of art: Ehrmann is registered with France’s Maison des Artistes and deposited the idea for his « Demeure du Chaos » in 1999, before he started work. A man with a legal training, he loves to find loopholes in the law and drive a truck through them. The big debate is whether he’s a real artist or just a slightly crazy millionaire à la Howard Hughes. Both, no doubt. His madness is of the variety that can take you a long way. An example: at a perfectly serious board meeting (members include LVMH CEO Bernard Arnault), screened the film of a performance (2) in which, with bailiffs threatening to slap possession order on his property, he slashes himself with a scalpel. « It’s your madness that I’m buying » said one delighted stockholder when it was over. Against all expectations, the Demeure and the personality of its owner are good for business. So much madness, that uncertainly defined territory that Ehrmann knows well, he who spent several years with the status of « incapable adult ». » As for the « artist » label, it’s not very important. After all, artists with weird lives and minds are no novelty since Art Brut came along. Anyway, the Demeure du Chaos is unique, a kind of post-9/11 version of the Postman Cheval’s « Ideal Palace. » (3) It now attracts a very mixed bag of visitors, from the curious to mystics, graffiti artists and nuns come to pray. Some seven hundred people turn up every weekend, sometimes returning home with a little bit of black stone as a relic. The Demeure du Chaos looks set to run and run.
Translation, C. Penwarden

Information:
www.demeureduchaos.com
www.chaosmansion.com

(1) Gallo-romain ruins were found here. The site was also home to a priory and post house.
(2) Viewable on ehrmann.org
(3) This elaborate construction wich fascinated the Surrealists is just a little further south, at Hauterives.-TRANS.

Richard Leydier
copyright ©2005 artpress

artpress – numéro 312 – Mai 2005
artpress.com

Le chaos gagne la télévision

> Le chaos gagne la télévision

Après avoir mis à rude épreuve la patience des urbanistes avec sa Demeure du Chaos, Thierry Ehrmann s’apprête à agacer les juristes de l’audiovisuel. Il a en effet décidé de faire de la publicité sur TLM pour cette oeuvre d’art monumentale (10 000 m², 452 tonnes d’acier) pourtant quasiment inaccessible au public. Le spot sera diffusé 500 fois sur la télévision lyonnaise (pour commencer). Il est constitué d’un enchaînement ultra rapide de vues dont certaines volontairement provocantes et se termine sur l’adresse du site (www.demeureduchaos.org).
Léger problème : même en passant le film au ralenti, il est impossible de voir toutes les images tant elles défilent rapidement. En fait, on ne sait pas très bien ce qu’il y a dans ce spot. Or la publicité subliminale est interdite sur les chaînes françaises…
Mais puisqu’une œuvre d’art n’est pas astreinte aux règles de l’urbanisme, peut-être qu’une publicité pour cette œuvre d’art n’est pas tenue de respecter les règles de la publicité commerciale.

interMedia – Numéro 859 – 04 avril 2005
copyright ©2005 interMedia

«Violence et Chaos» : De Bruits et de Fureurs

Exposition > « VIOLENCE ET CHAOS » A LA BIBLIOTHEQUE MUNICIPALE DE LYON

DE BRUITS ET DE FUREURS

Images anciennes : la bibliothèque de Lyon réunit autour de ce thème un choix d’estampes issues de ses collections. Visions d’aujourd’hui : à la Demeure du Chaos, Thierry Ehrmann et son équipe poursuivent leur œuvre de métamorphose.

MARTYRES et châtiments divins, rapts et viols, suicides, étripements sur champs de bataille, combats avec des fauves, égorgements d’alcôve, toutes ces brutalités tirées de l’histoire sainte, de la mythologie ou de l’actualité du temps alimentent l’inspiration du corpus iconographique des soixante-seize gravures réunies dans cette exposition. Une exposition destinée en premier lieu à présenter quelques pièces du fonds d’estampes de la BM de Lyon, fonds d’une grande richesse. Principalement augmenté au XIXe siècle, après sa séparation d’avec le fonds Livre, dans une visée plus documentaire que muséale, il compte 50 000 œuvres environ. Parmi lesquels, des chefs-d’œuvre. Ce fonds, en cours de catalogage et de numérisation, dont quelques pièces sont proposées, encore fallait-il trouver un thème propre à offrir le bon échantillonnage des siècles, des écoles et des techniques, pour le présenter de manière pertinente. Parce qu’il est de tous les temps et qu’il résonne non sans force à nos oreilles, le thème de la violence et du chaos a été retenu. De reproduction ou d’interprétation, les premières reproduisant une œuvre peinte préexistante, les secondes étant des créations originales de l’artiste, les gravures – bois, burin, eau-forte, pointe sèche – s’égrènent du XVe au début du XXe siècle.. […]

Retour > LE WORK IN PROGRESS DE SAINT-ROMAIN-AU-MONT-D’OR

DU CHAOS AU CHAOSMOS

DE MOINS en moins ésotérique, de plus en plus exotérique, cette Demeure du Chaos. Ou plutôt du Chaosmos, pour reprendre la terminologie d’Edgar Morin, pour lequel Chaos et Cosmos travaillent ensemble, même si c’est en s’opposant, pour incessamment construire l’Univers. Commencée dans le signe cabalistique, le gothic à connotation satanique, le pochoir artisanal et les inscriptions second degré de Ben, la métamorphose iconoclaste du Domaine de la Source prend de plus ne plus des allures d’installation, l’intervention artistique contaminant peu à peu tout le site. On n’en est pas encore là – trois hectares, il y a de la marge -, mais enfin, depuis notre premier passage, (Cf. Lyon-Figaro du 22 septembre 2004) l’image du chaos, et le chaos lui-même, évoluent. Si la déconstruction systématique continue, avec de plus en plus d’ouvertures très scénographiques dans le mur d’enceinte par exemple, ou encore un bouleversement assez spectaculaire de l’aménagement intérieur des parties privées dans le sens d’un moins habitable, il semble bien que le projet soit à présent plutôt du coté de la construction. Même s’il s’agit toujours d’édifier des images ou des signes du chaos. Comme ce mur qui devrait s’élever cet été dans une partie du parc, en référence autant au feu mur de Berlin qu’à celui qu’a entrepris de bâtir Israël pour protéger son territoire, alors que le bunker abritant le futur musée devrait aussi être mis en chantier. Ou comme le Ground Zero qui, dans la cour devant la maison s’élève depuis quelques semaines. 45 tonnes d’acier IPM et de béton cendré entre platane et cerisier du Japon. Pour ce faire, exit le bassin de pierre et la fontaine romantiques. A leur place s’élève désormais, donnant une impression stupéfiante de ressemblance avec les photos parues dans la presse, une sculpture qui évoque les ruines des deux tours jumelles et martyrs de Manhattan. Cette œuvre, soudée élément par élément, recyclage d’une image médiatisée qui a frappée l’imaginaire collectif, constitue par rapport à l’événement qui l’a suscitée un détournement que chacun interprète comme il veut. Un couple d’Américains y a vu, par exemple, le plus beau des hommages à son pays. Avec son allure de vaisseau naufragé, ses armatures comme des voilures brisées et hérissées surgissant du magma qui l’emprisonne, elle évoque une autre image qui a marqué l’imaginaire, Le naufrage de l’Espoir pris dans les glaces, un tableau de Caspar. David Friedrich, contemporain de l’ouvrage d’Oswald Spengler, Le déclin de l’Occident paru en 1818, le tableau, lui, est de 1821. La fin d’un monde. Une idée au cœur des réactions au 11 septembre 2001, et qui sous-tend tout le projet de la Maison du Chaos : celle de la destruction sacrificielle d’une société. De son immolation. De plus en plus de visiteurs, paraît-il, postulent à la découverte d’un environnement qui s’ingénie à reproduire les stigmates des convulsions contemporaines. Façon, de constater qu’ici, entre gaminerie et démesure, violence et chaos version aujourd’hui puisent comme hier dans l’imagerie de la guerre (le terrorisme n’étant qu’une forme de celle-ci) et l’idéologie, religieuse, de préférence.
Depuis notre premier passage, un avion militaire acquis auprès de Dassault, est venu se poser, genre albatros échoué, sur le terrain en surplomb du parking. Le nombre de carcasses plus ou moins calcinées de voitures et avec ou sans passager a prospéré. Plus encore une ou deux choses non identifiées… Dernier arrivé, et vu encore en l’état, un Hummer, l’air très méchant, d’une beauté aussi impitoyable que rudimentaire. Les bureaux des salariés d’Art price, tout comme celui de leur directeur ont eux aussi subi des changements. Le

« AU FOND, IL Y A L’ESPOIR »

matériel de bureau soudé maison adopte de plus en plus un design des plus primitifs. Aux murs, l’effigie de chefs religieux, l’image du martyr de Gênes. Ca et là, des colonnes un peu frustes que ne renierait pas Pagès et qui portent sur leurs flans, les signes et le chiffre de groupes révolutionnaires. Philosophe, le personnel joue le jeu. Les informaticiens ont juste demandé à ce que le groupe révolutionnaire figurant dans leur local soit dénué de toute obédience religieuse. On a ses convictions.
Dans la maison du Chaos, l’écart entre art et vie quotidienne s’amenuise tranquillement. Comme celui entre Thierry Ehrmann et ce grand œuvre qui, de plus en plus, semble faire corps avec sa vie même. Au point qu’on se dit que la vraie alchimie de toute cette affaire est peut-être là…
« Au fond, il y a l’espoir », dit sérieusement Thierry Ehrmann à propos de son Ground Zero. Vous allez voir, ce chaos germinatif à l’œuvre au domaine de la Source va finir en chaos positif. C’est d’ailleurs comme cela que Karel Appel voyait l’art, comme un chaos positif. Et il l’opposait au chaos négatif, celui de la barbarie qui, écrivait-il, monte autour de nous…
Nelly GABRIEL

Lyon Figaro – Samedi 26 mars 2005
copyright ©2005 Lyon Figaro

La maison du chaos fait toujours parler d’elle

SAINT-ROMAIN-AU-MONT-D’OR

La maison du chaos fait toujours parler d’elle

La maison Ehrmann était le sujet de l’année 2004 à Saint-Romain-au-Mont-d’Or. Une lettre du député Philippe Cochet au gouvernement n’a rien fait avancer

La maison du chaos, propriété de Thierry Ehrmann, est toujours au cœur de l’actualité et de Saint-Romain-au-Mont-d’Or. « Nutrisco et Extinguo, l’esprit de la Salamandre », gigantesque œuvre d’art classée du Domaine de la Source, a déjà fait l’objet de nombreuses réactions et commentaires (voir nos éditions du 8 septembre dernier). Elle est à l’origine d’une lettre du député de la circonscription, Philippe Cochet, envoyée en octobre au Secrétaire d’État au logement.
Le député justifie cette initiative : « Les électeurs ne comprennet pas qu’on leur impose un choix de couleur pour leur domicile, selon la commune où ils s’installent, alors que tout est permis dès qu’il s’agit d’art. Tout citoyen pourrait modifier sa facade ou les parties extérieures comme bon lui semble ». En se dispensant d’un permis de construire.
Philippe Cochet demandait au secrétaire d’État son point de vue sur la question et les modifications qu’il pourrait envisager afin de clarifier le Code de l’urbanisme à ce sujet.

L’œuvre d’art cette inconnue
Pas de quoi perturber le solide Thierry Ehrmann, qui a toujours affirmé être en règle. Il faut dire qu’en terme de législation, l’homme en connaît un rayon et possède un service juridique à toute épreuve. Ses sociétés Serveur et Artprice sont depuis 17 ans des références en matière de codes de loi sur l’œuvre d’Art, sa fiscalité et le marché de l’art, entre autres.
« La France a la meilleure définition au monde de l’œuvre d’art au niveau de la propriété industrielle » selon l’artiste. Il estime que les vraies questions à se poser sont : « Qu’est-ce qu’une œuvre d’art ?
Un tableau avec du beau, répondant à la définition académique du XIXe siècle ? « , et « l’œuvre d’art doit-elle figurer dans le code de l’urbanisme ? Ceci ferait l’objet d’un véritable débat » renchérit-il, intéressé.
Si Thierry Ehrmann estime enfin que « le député a fait perdre son temps au gouvernement avec une question qui n’a pas lieu d’être », Philippe Cochet est plutôt d’avis contraire : « Le cas Ehrmann pourrait très bien faire jurisprudence. » Il se dit prêt à reformuler son courrier en compagnie de l’intéressé pour « combler ce vide juridique ». Les deux hommes se sont rencontrés.
« Nous avons bien discuté. Nous avons le même âge, c’était très intéressant » conclut Thierry Ehrmann, pas rancunier. Il soutient d’ailleurs que « la population s’est accaparée l’œuvre et connaît notre démarche. Les opposants disparaissent de jour en jour. L’acceptation de l’œuvre par les riverains a évolué avec le regard d’autrui. »

Céline Bally et Laurent Jaouen

copyright ©2005 Le Progrès de Lyon


Une « usine permanente »

La maison du chaos, royaume de la salamandre, est selon son propriétaire et créateur Thierry Ehrmann une « usine permanente ». Elle affiche plus de 9 000 interventions et comporte plus de 450 sculptures, une série de portraits inversés, fait appel à 90 disciplines dont la lithographie, la gravure, le travail des métaux, de la pierre, de la terre… La demeure supporte 30 tonnes de roche « déposées » sur le toit. « Les jeunes plasticiens ont un cahier des charges de plus en plus fort. Chacun travaille en superposition avec les autres » annonce le bouillonnant chef d’entreprise qui accueille régulièrement en sa demeure des classes d’architectes, des élèves d’écoles d’art… Depuis 2001, le lieu qui a abrité une bonne vingtaine de plasticiens est aussi un musée international, appelé « L’Organe ». Il ouvrira ses portes au public à partir du printemps 2005.
Laurent Jaouen
copyright ©2005 Le Progrès de Lyon

« La Demeure du Chaos » fait désordre dans la banlieue ouest de Lyon

SAINTROMAINAUMONTD’OR (Rhône), 3 déc 2004 (AFP)

« La Demeure du Chaos » fait désordre dans la banlieue ouest de Lyon

Dans le village aux pierres blondes de Saint-Romain-au-Mont-d’Or, dans la banlieue ouest de Lyon, une maison peu ordinaire provoque des remous: « La Demeure du Chaos », oeuvre d’art pour les uns, provocation pour les autres. Derrière des murs d’enceinte noircis et recouverts de signes ésotériques s’élève la façade d’une bâtisse médiévale d’aspect carbonisé. En guise de blason a été accrochée une grosse salamandre métallique, au milieu de coulées de lave et d’éclaboussures de peinture rouge. De fausses météorites et des carcasses de voitures jonchent le domaine. Cette oeuvre de « déconstruction » est signée par le riche propriétaire des lieux, Thierry Ehrmann, qui s’est entouré dans cette entreprise de nombreux artistes, comme Ben. Mais la version architecturale de la pensée du philosophe Jacques Derrida n’est pas du goût de tous dans ce village résidentiel d’un millier d’habitants, en partie classé, et où le moindre ravalement est soumis à de strictes contraintes. « Ce que je ne peux pas tolérer, c’est qu’on impose (ce spectacle) à la vue des gens », juge le maire Pierre Dumont, qui dit recueillir quotidiennement des témoignages d’habitants excédés. Lui-même s’avoue « exaspéré » par le tapage qui entoure l’oeuvre de son insolent administré. Juriste de formation et président d’un groupe spécialisé dans les banques de données judiciaires, juridiques et économiques, le groupe Serveur, thierry Ehrmann se prévaut de son côté d’un article du code de l’urbanisme excluant les oeuvres d’art du champ d’application du permis de construire. Mais pour le député du Rhône Philippe Cochet (UMP), la situation pourrait ouvrir la porte à tous les excès. Dans une question écrite à l’Assemblée, il a interpellé le ministre délégué au Logement, Marc-Philippe Daubresse, sur les mesures envisageables pour « clarifier les dispositions du code de l’urbanisme ». « L’affaire de Saint-Romain est intéressante du point de vue juridique car elle peut entraîner une jurisprudence », commente le député. « C’est le problème de l’interprétation de l’oeuvre d’art ». Cette polémique, Thierry Ehrmann la juge « enrichissante ». « Une oeuvre d’art qui ne dérange pas n’en est pas une », tranche ce quadragénaire au style gothique, également à la tête d’Artprice, leader mondial des banques de données sur la cotation et les indices de l’art. Depuis le début des travaux en 2001, ce patron anticonformiste a dépensé près de 900.000 euros pour « déconstruire » – et non « détruire », précise-t-il – l’extérieur et l’intérieur de sa propriété, qui abrite son domicile et le siège de son groupe. Il explique que les attentats du 11 septembre 2001, les guerres en Afghanistan et en Irak, et l’usage récurrent du mot « chaos » dans la presse, l’ont incité à reproduire chez lui un théâtre de guerre et procéder à un « effacement complet de la présence bourgeoise ». Dans son bureau en chantier, entouré de deux minitels, trois ordinateurs et un écran de vidéo-surveillance, Thierry Ehrmann cite abondamment Duchamp, Saint Augustin, Clausewitz, évoque la mort d’Arafat, l' »inspiration messianique » de Bush et prédit la déconstruction du système par l’information et « l’internet qui abolit toute forme de pouvoir ». Sa démarche pourrait faire des émules: un voisin, Marc Allardon, a l’idée de transformer sa propre villa en « Maison de l’Eden » qui, précise-t-il, sera « pleine de vie, d’espoir et de couleurs ».

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Un itinéraire chao-TIC

Portrait

Thierry Ehrmann. Quel est le cheminement qui a mené Thierry Ehrmann d’une enfance solitaire avec précepteur dominicain à l’Internet et à Artprice, l’une des plus importantes banques de données sur l’art au monde, à la « Demeure du Chaos » de Saint-Romain-au-Mont-d’Or qui fait actuellement beaucoup jaser.

Un itinéraire chao-TIC

« Je ne me suis jamais tant amusé ! » Thierry Ehrmann, 42 ans, le Pdg du Groupe Serveur, prend un plaisir évident à faire visiter ce qu’il a baptisé lui-même « la Demeure du Chaos ». L’ancien relais de poste du XVIIIe siècle de 3,7 ha de Saint-Romain-au-Mont-d’Or où il a installé son siège social, ses salariés et son habitation personnelle, est en voie de transformation en œuvre d’art. Telle est la dénomination juridique du site, désormais classé à la Société des Auteurs, ce qui permet de le soustraire au code de l’urbanisme et de suspendre toute action de l’Architecte des monuments historiques, mais aussi du maire de Saint -Romain et de ses voisins qui n’apprécient guère. Leur réaction s’explique : l’ancien relais de poste en pierre dorée connaît une mutation radicale, sensible dès la muraille qui la ceint totalement. Sombre, noire et rouge alternant tête de mort et signes alchimiques, météorites et crucifix, l’œuvre n’est guère riante. « Grâce à l’art, je peux faire passer les messages les plus forts, les plus émotionnels. » En fait Thierry Ehrmann se veut un émule de Duchamp dont il répète l’une des phrases les plus fortes : « Une œuvre d’art qui ne provoque pas n’en est pas une. » Il rassemble chez lui toute la douleur du monde. Ils n’ont encore rien vu, s’amuse Thierry Ehrmann qui estime que son grand œuvre n’en est qu’à 30 % de sa réalisation. « A terme, ce sera la ville de Dresde », provoque-t-il. Une réalisation qui au passage a déjà nécessité l’intervention de trente-six artistes venus du monde entier pour une somme qu’il estime déjà à 800 000 €. Un blockhaus de 20m sur 20 signé de l’artiste plasticien Mathieu Briand et un char américain Sherman, devraient notamment compléter cette « Œuvre au noir » qui devrait être ouverte au public dès l’année prochaine. Succès annoncé : chaque week-end, déjà près de 700 personnes se pressent autour de la « Demeure du Chaos ». Autodestruction, goût exacerbé de la provocation ? Quel est donc le moteur de Thierry Ehrmann ? Le souci d’épater le bourgeois ? Il s’agirait alors d’une revanche sur sa propre enfance pour ce fils de la bourgeoisie lyonnaise, né boulevard des Belges. Son père dont il affirme qu’il était proche de Opus Dei et qui était chargé par le Vatican de gérer à travers l’Europe les biens de l’Eglise, lui a dévolu une enfance solitaire. Chez les Ehrmann il n’y avait que des fils uniques depuis trois générations, pas de frère, ni de sœur, encore moins d’oncle. Mais un prêtre dominicain comme précepteur pour cet enfant né dans les beaux quartiers qui vit une enfance pour le moins décalée. Il totalise au cours de sa scolarité dix-huit établissements différents. « Ce n’est pas que j’étais un mauvais élève, mais je dégageais, me disait-on, une aura qui perturbait », explique-t-il. A la mort de son père, il a dix-sept ans et hérite d’une usine chimique en Allemagne. Il constate qu’il s’agit d’un quasi-oligopole organisé par son père avec deux autres entreprises. Après avoir cassé à son profit cet oligopole, il vend cette usine un excellent prix. Le point de départ d’une fortune professionnelle estimée aujourd’hui autour de 60/70 M€. Ensuite, c’est l’Internet qui en fera un des gourous de la Nouvelle Economie à travers pas moins de dix-sept banques de données différentes. Il sculpte et écrit, sans d’ailleurs montrer ses œuvres, mais l’élément déclencheur de cette autodestruction à demeure est en fait Artprice, son fleuron, l’une des plus importantes banques de données au monde consacrée au marché de l’art affichant la cote de plus de 306 000 artistes. « A force de décrypter l’art, je me suis retrouvé à la rencontre de tous les acteurs du marché », souligne-t-il. Il plonge à bras le corps dans l’art contemporain et fait siens les ressorts d’un milieu qui l’attirait depuis longtemps. Associant ses deux fils, Sydney et Kurt qui, reconnaît-il, vont encore plus loin que lui, c’est à ce stade qu’il décide de jouer les démiurges pour transformer radicalement son cadre de vie. Mais comme souvent chez Thierry Ehrmann, derrière le goût de la provocation, il y a le business. La « Demeure du Chaos » qui n’en est probablement qu’à ses prémices en matière de médiatisation lui permet de se faire connaître dans le monde entier, lui et Artprice dont Bernard Arnault a pris 17% du capital. Artprice qui pourrait devenir assez rapidement la vache à lait du groupe. Et quoi de plus normal finalement qu’une banque de données sur l’art, au cœur d’une œuvre d’art … Dominique Largeron ©2004 Les Petites Affiches Lyonnaises – Du 18 au 25 octobre 2004 – N°713

Chaos aux monts d’Or

actualité reportage

Chaos aux monts d’Or

Polémique. Saint-Romain-au-Mont-d’Or, ses pierres dorées, sa douceur de vivre et sa tranquilité…
A cette douce litanie, il faut désormais ajouter : sa Demeure du Chaos, ses pierres calcinées et ses météorites. En quelques mois, l’excentrique Thierry Ehrmann a érigé la déconstruction de son domaine et la perturbation d’un paisible village en œuvre d’art.

Les lettres blanches sont taggées sur fond noir en marge d’une tête de mort : « la Demeure du Chaos est à Saint-Romain, proclame un sinistre panneau publicitaire de 4 mètres sur 3, habilement posé avant la très touristique halte gastronomique de Bocuse. Saint-Romain aux mont d’or, coquet village de 1100 âme, se passerait bien d’une telle publicité. Mais voilà : c’est ce paisible endroit que Thierry Ehrmann, pdg du groupe Serveur, a choisi pour réaliser une œuvre d’art totale baptisée « la Demeure du Chaos ». Cette œuvre monumentale investit une partie de son domaine de 1,2 hectares, un ancien relais de poste du XVIIème siècle qui abrite son domicile et le siège de sa société, Artprice.com, leader mondial de l’information sur le marché de l’art.

Les murs d’enceinte donnent le ton, résolument noir, avec une tête de mort de 4 mètres de haut, des coulées de lave, des pierres calcinées, des signes cabalistiques, une immense fractale, un Christ en croix ou des salamandres par dizaines. Une voiture brûlée stationne sur le parking défoncé par des météorites, sous le regard de penseurs iconoclastes, comme Baudrillard, gravés à l’acide sur le toit de cuivre. La piscine vient d’être sacrifiée sur l’autel du chaos : de grandes lames de rasoir sont posées au fond et l’eau devait être colorée rouge sang. Dans ce paysage d’apocalypse inspiré par l’alchimie, plusieurs artistes s’activent à la minutieuse « déconstruction » du lieu, maniant marteau-piqueur, nacelle et acide chlorhydrique. Il arrive que les salariés de l’entreprise leur prêtent main forte. « Pour la majorité des salariés qui travaillent ici, l’art est notre domaine. A un moment, on se rend compte que l’art est abordable -la moitié des œuvres vendues partent à moins de 1000 euros – et on a envie de passer à l’acte. » Explique le webmaster d’Artprice.com.

Mais dans le village de Saint Romain c’est la consternation.
« Ma fille a peur des dessins de feu »
 » Ca me gêne que ca déborde sur l’espace public et qu’on soit obligé de le subir. C’est agressif, morbide et provocant. Ma petite fille de trois ans a peur des « dessins de feu », mais le sens de circulation nous oblige à passer devant », témoigne une habitante. Pierre Dumont maire de la commune qui abrite ce petit Grozny aux mont d’or, est excédé. « Ca empoisonne la vie des gens; irrités et inquiets, ils ne parlent que de ça … Ils n’acceptent pas qu’on leur impose un spectacle qu’ils trouvent désagréable. Il n’y a rien de plus subjectif que l’art, mais a-t-on le droit de l’imposer aux autres ? Saint-Romain est un village d’une grande humilité et n’a pas besoin de ça ! » Les habitants de Saint Romain voulaient la paix; ils se retrouvent face à un paysage géopolitique, qui sera bientôt peuplé de matériel militaire en provenance de Tchéquie. Ils avaient choisi la beauté d’un village en pierres dorées où la moindre modification est soumise à l’autorisation de l’architecte des bâtiments de France et ils se retrouvent face à une maison en déconstruction et aux pierres calcinées.  » Il y a deux vitesses dans la législation. On se fait refuser des travaux d’embellissement de façades et à cent mètres de chez nous, quelqu’un passe son temps à détruire ses façades au marteau-piqueur, sans autorisation ! » explique Jean-Marc Lopez-Fernandez, qui ne comprend pas l’impunité dont jouit son voisin.

« Ici, tout est ghetto de riches et pierres dorées »
« C’est une simplicité biblique : l’œuvre d’art est exclue du code de l’urbanisme rétorque Thierry Ehrmann. Il s’est donc appuyé sur une règle de droit qui prévoit que les réalisations artistiques échappent aux règles d’urbanisme. Pour cela, Thierry Ehrmann a conceptualisé son projet artistique (transformer une maison bourgeoise en œuvre d’art dans un contrat de droit d’auteur » déposé auprès d’un officier ministériel. Partisan d’un art qui, avec Duchamp se doit de susciter des interrogations, de provoquer des prises de conscience », Thierry Ehrmann, un rien machiavélique, a précisément conçu son œuvre en interaction avec son environnement.  » Ici, tout est ghetto de riches et pierres dorées; tout le monde vit avec l’indicateur Bertrand et la cote de l’immobilier, c’est ridicule ! » estime Thierry Ehrmann quia donc choisi  » d’annihiler l’œuvre foncière au profit de l’œuvre d’art par un processus ostentatoire de « déconstruction » : toutes les ligne droites sont brisées, les métaux déformés. La question principale de cette œuvre est sa confrontation permanente à autrui. Et c’est bien là son aspect novateur, son caractère tendancieux. Jusqu’où peut-on forcer les gens à regarder ? » affirme le manifeste de la demeure du chaos. Thierry Ehrmann ne cache pas qu’il est ravi de susciter la polémique : « les regardeurs, ceux qui blasphèment ou hurlent son les premiers contributeurs de l’œuvre », reconnaît-il. Après être sorti du tableau et du site, la demeure du chaos d’Ehrmann semble déborder dans tout un village, contraignant les habitants à une œuvre participative malgré eux.
Anne-Caroline Jambaud.

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Numéro 495 – Semaine du mercredi 6 au mardi 12 octobre2004

Comment vit-on dans une œuvre d’art

COULISSES

Comment vit-on …
dans une œuvre d’art

Le siège d’Artprice, leader mondial de l’information sur l’art, s’est placé délibérement sous le signe du chaos. Dans l’apparence et l’organisation.

A deux pas de la mairie de Saint-Romain-au-Mont-d’Or (Rhône), punaisées sur une porte de garage, une dizaine d’affiches expriment l’effroi des habitants devant la  » chose « . La  » chose  » en question est en réalité un siège social. Celui d’Artprice, leader mondial de l’information sur l’art avec la plus importante banque de cotations d’œuvres (peintures, estampes, dessins, miniatures, sculptures, affiches, photos, tapisseries). Le problème, c’est que cet ancien relais de diligence du XVIIème siècle, situé au cœur d’un village classé, s’est peu à peu transformé en un vibrant hommage au… chaos. Les habitants qui passent le long de cette grande propriété voient régulièrement des artistes barbouiller les murs de salamandres – le symbole du groupe -, de têtes de mort et de symboles ésotériques ou défoncer ses vieilles pierres à coups de marteau piqueur.

Concept créatif du patron. Bouleversé dans sa vision du monde après les attentats du 11 septembre 2001, le PDG d’Artprice, Thierry Ehrmann, 42 ans, a décidé de faire du domaine de la Source une  » œuvre artistique monumentale « . Ainsi, l’an dernier, il a voulu bombarder son siège avec des  » météorites « . Largués depuis la flèche d’immenses grues, ces blocs de granit de plusieurs tonnes ont troué les toits, crever les cloisons, avant de s’incruster dans le sol. Le bâtiment garde encore les traces de cette agression, comme un décor de film fantastique. Des pans entiers de murs sont comme écroulés, les pierres ont été peintes aux couleurs de roches calcinées et les employés zigzaguent dans les couloirs pour éviter  » les météorites « .  » Ici, c’est tous les jours vendredi 13 !  » prévient un opérateur hilare. Il fallait le faire, dans un village où la pose de la moindre fenêtre nécessite l’autorisation de l’architecte des Bâtiments de France… Mais le PDG d’Artprice est un provocateur du genre organisé. Il a pris soin de faire une déclaration de projet artistique auprès du ministère de la Culture, ce qui le met automatiquement à l’abri des tracasseries administratives.
Fasciné par les travaux du mathématicien polonais Benoît Mandelbrot, qui permettent de modéliser le hasard, Thierry Ehrmann a décidé d’appliquer ce concept créatif à son entreprise : le fonctionnement… comme l’apparence. Pour les salariés, ce chaos annoncé n’est pas une nouveauté :  » On vit dedans depuis longtemps. C’est notre univers, celui d’Internet « , explique Jean-François, informaticien d’une trentaine d’années.  » Et, renchérit un autre, on peut difficilement rejeter cette démarche alors que notre métier consiste à mettre en ligne des peintures et des installations artistiques…  » Si certains salariés restent imperturbables au milieu des tags provocateurs qui recouvrent les murs, d’autres ont été transformés par cet environnement.  » Un des développeurs informatiques nous voyait taguer des salamandres géantes sur les murs, raconte l’économètre du groupe, Pierre Capelle. Il était plutôt réservé, mais il a fini par s’y mettre lui aussi, et depuis il n’est plus tout à fait comme avant…  » Même métamorphose pour Christophe Ravier. Ce jeune centralien a longtemps hésité à remiser au placard sa cravate et ses pantalons à pinces. C’est pourtant le même qui récemment, a réalisé sa propre performance artistique… en faisant exploser sa voiture sur le parking de l’entreprise !
Avec un pied dans le chaos et un autre dans le cyberespace, le fonctionnement d’Artprice donnerait des sueurs froides à plus d’un patron : une sorte d’anti-manuel du management classique. Cela commence dès le hall d’entrée : le visiteur tombe littéralement nez à truffe avec Reuters et Sotheby’s, deux danois qui affichent au moins 1,20 mètre au garrot. Derrière ces molosses plutôt débonnaires, des catalogues s’entassent. C’est la livraison du jour des centaines de maisons de ventes, partenaires d’Artprice, dont les dernières adjudications vont être mises en ligne. Cette banque de données sur la cotation de millier d’artistes du IVème siècle à nos jours, c’est le trésor d’Artprice. Chaque année, le site reçoit plus de 1 milliards de requêtes, qu’il facture à l’unité ou par abonnement. Régulièrement, il est victime de pirates qui cherchent à le piller.  » Notre site suscite beaucoup d’attaques. Et comme il ne peut ni être lent, ni être vulnérable aux problèmes de paiement, nous avons dû reprendre la maîtrise de son architecture, ce qui fait de nous un des plus gros serveurs de France « , explique J.-B. H., le webmestre du site. C’est encore plus vrai maintenant que les connexions commencent à décoller.

Horaires de start-up. Durant le deuxième trimestre 2004, le site a réalisé plus de 480 000 euros de chiffre d’affaires, en hausse de 47%. Le chaos, du coup, s’est aussi installé dans les horaires, qui ressemblent de plus en plus à ceux d’une start-up, selon un salarié. Mais, pour Josette Mey, la directrice du marketing du groupe,  » Artprice a des clients américains, allemands et japonais, leurs horaires ne sont pas les nôtres. C’est à nous de nous adapter.  » De fait, l’entreprise vit au rythme du  » calendrier Yahoo! « , cette page du moteur de recherche qui recense les jours fériés du monde entier.  » Nos connexions, notre chiffre d’affaires et nos besoins humains dépendent des fêtes shintoïstes japonaises, du Labour Day ou de la Saint-Patrick… « , explique Josette Mey. Il est 17 heures, l’heure où les écoliers de Saint-Romain-au-Mont-d’Or entament leur goûter, où les Américains de la côte Est commencent à se brancher sur Internet et où les derniers clients japonais éteignent leurs ordinateurs. Au siège d’Artprice, un marteau-piqueur invisible s’attaque à un mur : le chaos est en marche…

Eric Tréguier

CHALLENGES N°231 – 23 septembre 2004

copyright ©2004 CHALLENGES

LA DERNIÈRE FOLIE D’EHRMANN

Monts d’Or > Le patron du Groupe Serveur métamorphose sa propriété

LA DERNIÈRE FOLIE D’EHRMANN

Tandis que le domaine de la Source se métamorphose, au village de Saint-Romain, on se décompose.  » Ce n’est pas tolérable », explique posément Pierre Dumont , le maire, qui décrit un village en « émoi ». Il parle d' »irrespect », d' »insulte à la loi ». Il estime que si chacun a le droit de faire ce qui lui plaît chez lui, et d’avoir son idée de l’art, il n’a pas à l’imposer au regard des gens, comme cela se passe avec la Demeure du Chaos. Une dénomination qui sème la consternation, dit-il, parmi ses administrés. Celui par qui le désordre arrive, c’est Thierry Ehrmann, le pdg du Groupe Serveur. Un monsieur connu entre autres pour son non-conformisme et son goût de la provocation. En 1999, il décide de transformer son domaine en œuvre d’art. Un chantier dont il est le maître d’œuvre et d’ouvrage. Visite à la Demeure du Chaos.

Transmutation > VISITE A LA DEMEURE DU CHAOS

L’ŒUVRE AU NOIR DE THIERRY EHRMANN

CHAHUTÉ, le régulier ordonnancement des murs du domaine de la Source, au cœur des Monts d’Or des échancrures ménagent des échappées insolites, les surfaces s’hérissent de blocs anthracites. Maculée de noir, barbouillée de rouge, parcourue parfois de signes d’initiés, de symboles ou d’inscriptions mathématiques, la fameuse pierre dorée en voit de toutes les couleurs. Evidemment, ça surprend. Comme ce Christ en croix au-dessus d’un œculus, ou ces salamandres dont le dessin se répète. A l’intérieur, même registre. Un mélange de Grozny et de Gaza. Les prémices d’un paysage de guerre. Cratères, météorites, carcasse de voiture… Toute la violence du monde en raccourci. Une désolation organisée qui n’en est qu’à son commencement. Bientôt des météorites auxquels des sculpteurs mettent la dernière touche viendront en simulacre écraser le toit de la bâtisse, tandis que la piscine accueillant silures et météorites se métamorphosera en aquarium rouge sang… Quelques phrases de Ben accrochées ça et là sur les diverses façades distillent leur second degré, tandis que des têtes de morts, vanité tout n’est que vanité, nous rappelle l’Ecclésiaste…
Le détournement par son propriétaire de cet ancien relais de poste du XVIIIème siècle mâtiné demeure bourgeoise est singulier. A la fois naïf et complexe dans ses visions de chaos et de mort, qui mêlent le religieux et le cabalistique, le bouffon et le grave. Mais il y a, à ces convulsions baroques, à ces pierres martyrisées par le feu, à ces lignes droites systématiquement brisées, une curieuse « beauté ». Celle du bizarre. Et une mystérieuse étrangeté. On pense à la demeure d’un original illuminé. C’est celle de thierry Ehrmann, pdg du groupe Serveur, homme d’affaires efficace et redoutable, figure peu orthodoxe de l’économie lyonnaise.
L’homme est connu, notamment, pour son non-conformisme et son goût pour l’art. Artprice.com, une banque de données sur Internet devenu leader mondial de l’information sur le marché de l’art, c’est lui. Dans son domaine de Saint-Romain-au-Mont-d’Or, 3 hectares et 7 000 mètres carrés habitables où il a installé en 1999 le siège de son groupe, ses activités professionnelles et sa famille, et où s’érigera début 2005 son musée – dans un « bunker » d’artiste semi-enterré-, il se pose en démiurge et joue à l’alchimiste. Il peaufine un grand œuvre dont la Demeure du Chaos, ainsi s’appelle le domaine en (trans)mutation, est l’expression éxotérique. Entendez ce qui se donne à voir au public et à la population de Saint-Romain-au-Mont-d’Or qui d’ailleurs s’en inflige et s’en inquiète. (Lire plus bas les propos de Pierre Dumont, maire de la petite commune). Pourquoi s’attaquer, s’interroge-t-elle, à un patrimoine que d’autres bichonnent, entretiennent, quand ils ne vont pas jusqu’à leur consacrer des Journées ? « La valeur vénale du bien immobilier commençait à me sortir par les yeux ». Ainsi thierry Ehrmann explique-t-il une des origines, en 1999, de l’Esprit de la Salamandre, la partie ésotérique de son grand œuvre, et dont le sous-titre pourrait être « Comment transformer sa maison bourgeoise en œuvre d’art ». Ce projet artistique, scellé d’un contrat en bonne et due forme, notre homme n’est pas juriste pour rien, il dépose officiellement auprès de la Société des Auteurs. Désormais à l’abri des tracasseries du code de l’Urbanisme, les œuvres d’art n’entrant pas dans son champ d’application, thierry Ehrmann et ses associés, à l’origine, ses deux fils et un artiste se mettent à l’ouvrage. Ils sont à présent plus d’une vingtaine, peintres et sculpteurs, à œuvrer, telle une confrérie de compagnons, au domaine de la Source, où les engins de chantier ne sont pas les moindres de leurs outils. L’idée du chaos qui préside à la déconstruction systématique des lieux et prend allègrement à rebrousse-poil la conception classique de la Beauté et de l’œuvre d’art, imposant une vision de dissonance brutale, de provocation dérangeante, de choc esthétique, a semble-t-il évolué dans l’esprit de thierry Ehrmann. Partie du chaos que les sciences dures ont théorisé au siècle dernier, démontrant tout en posant le principe d’incertitude qu’il y a de l’ordre dans le désordre, sa réflexion a rencontré un certain 11 septembre lequel l’a orienté sur la destruction du monde. D’où ces formes organiques, ces images de mort, cette iconographie éclectique – « de la Tchétchénie aux lois Perben » -, témoignant de sa propre vision du monde et des convulsions de celui-ci. Malgré les apparences, il s’agit moins pour thierry Ehrmann d’anticiper la fin du monde que sa transformation.
Evidemment, la polysémie des signes et la pluralité des discours brouillent les lectures, rendant tout ce grand œuvre un peu confus pour qui n’y participe pas. C’est-à-dire, la majorité.
L’autre sous-titre à l’Esprit de la Salamandre, « Comment révéler les failles inhérentes au système, détourner légalement les codes et décrets », trahit une autre et intéressante spécialité de Thierry ehrmann, celle de « performer » en droit. Un art original dont il est à notre connaissance, le seul représentant. Provoquer les lois et le droit, voilà son sport favori. Le droit, pour lui, c’est ce qui permet de prendre la température de la société. Et rien ne semble plus lui plaire que de faire monter cette température. Juste pour voir jusqu’où on peut aller dans ce jeu là. Nul doute que ce questionnement du législateur passe par la Demeure du Chaos.
A chacun son Palais Idéal. Le facteur Cheval, d’ailleurs, ne semblerait pas si éloigné de la Demeure du Chaos, si ce n’était que rien n’est plus étranger au maître des lieux que l’art brut. Plus qu’un rêve, plus qu’une utopie, c’est une idée qui entend prendre forme au Domaine de la Source. Une posture qui veut s’incarner dans l’Esprit de la Salamandre. Champion de la performance juridique, thierry Ehrmann se pose également en singulier de l’art conceptuel.

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« Une insulte à la loi »

Tandis que le domaine de la Source se métamorphose, au village de Saint-Romain, on se décompose. « Ce n’est pas tolérable », explique posément Pierre Dumont, le maire qui décrit un village « en émoi ». Il parle d' »irrespect », d' »insulte à la loi ». Il estime que si chacun a le droit de faire ce qui lui plaît chez lui, et d’avoir son idée de l’art, « si on peut appeler ça de l’art », il n’a pas à l’imposer au regard des gens, comme cela se passe avec la Demeure du Chaos. Une dénomination qui sème la consternation, dit-il, parmi ses administrés, qui, second degré ou pas, ont du mal à accepter la chose avec ses démonstrations de fin du monde. « C’est terrifiant. » Pour Pierre Dumont qui entend tout faire pour trouver la parade, « c’est de la provocation pure et simple. Ce que veut ce monsieur, c’est qu’on parle de lui. C’est tout. »
L’idée qu’à terme cette bizarrerie de Thierry Ehrmann puisse attirer du monde à Saint-Romain ne l’intéresse pas. « A quoi cela servirait-il ? A ce qu’il y ait beaucoup de curieux dans le village ? A provoquer des embouteillages ? On veut vivre dans le calme. » A juste titre et à bon droit. Un calme, qui selon lui, a déserté les habitants. « Les gens ne parlent plus que de cela ». Bref, la Demeure du Chaos empoisonne la vie non seulement de ses voisins qui dépriment, mais de la communauté. « Allez leur faire comprendre, maintenant qu’ils n’ont pas le droit de peindre en violet ou en jaune leurs volets, alors qu’ils ont sous les yeux de tels débordements ? Il y a un problème. Ou alors c’est la loi qui est mal faite. » CQFD ?
N.G.
Nelly GABRIEL

Lyon Figaro – Mercredi 22 septembre 2004
copyright ©2004 Lyon Figaro

thierry ehrmann

Le chaos du monde dans la pierre des Monts d’Or

ART/ UNE OEUVRE QUI FAIT JASERLe chaos du monde dans la pierre des Monts d’Or

Thierry Erhmann, le patron du groupe Serveur, a transformé sa somptueuse propriété en maison du chaos. De plus en plus exposée aux regards, cette oeuvre monumentale divise les habitants, et inquiète les élus.

Le village de Saint-Romain au-Mont-d’Or est en émoi. Dans cette commune qui a fait le pari de l’architecture humble, le choc est certain pour le visiteur.
Salamandres omniprésentes, parfois sanguinolentes, coulées de lave sur les murs en pierre des Monts-d’Or par

Certains apprécient cependant cette dissidence au coeur de ce village conventionnel

ailleurs éventrés par des météorites, tableau signé de l’artiste Ben annonçant la fin du monde, le moins que l’on puisse dire est que la propriété de Thierry Erhmann, richissime PDG du Groupe Serveur, ne passe pas inaperçue. Ce travail colossal entrepris il y a trois ans a été longtemps confiné à l’intérieur. Mais ces derniers mois, l’imagination débordante des artistes a gagné les murs d’enceinte de ce domaine de trois hectares situé à un jet de pierre de la mairie. Bref, tout le monde en profite.
Cet art fait-il l’unanimité ? Les 978 Saromagnots semblent divisés. Certains apprécient cette dissidence au cœur de ce village conventionnel, d’autres ne paraissent pas du tout emballés pas la théorie du chaos. Des mères de famille feraient dorénavant un détour pour ne pas heurter la sensibilité de leurs enfants. Et dans ce village classé où une fenêtre de plafond non réglementaire peut être refusée par l’architecte des Bâtiments de France, tout le monde se demande où se situe la loi.

Des élus dépassés
De quoi s’arracher les cheveux pour le maire Pierre Dumont, qui écoute, désemparé, les doléances de ses administrés, qui s’étalent par ailleurs au grand jour sur une feuille blanche placardée contre un mur. Un maire qui n’entend pas polémiquer avec Thierry Ehrmann, mais qui se pose avec son conseil municipal beaucoup de questions :  » chacun peut avoir de l’art la conception et la définition que bon lui semble. L’art est une notion subjective. Mais il n’est pas admissible de l’imposer quotidiennement aux autres avec une telle agressivité, qui plus est dans un périmètre de protection des bâtiments historiques. La notion de chaos affichée est incohérente avec un village aussi simple et discret « .
Pierre Dumont a consulté des juristes mais tous s’y sont pour le moment cassé les dents. L’architecte des Bâtiments de France n’a pas souhaité réagir, n’étant pas concerné au regard de la loi. Mais son travail à Saint-Romain risque de se compliquer à l’avenir.
Reste donc à savoir jusqu’où Thierry Ehrmann, qui ne fait jamais les choses à moitié, va pouvoir aller sans perturber l’ordre public. L’homme d’affaire est confiant et affirme que ses détracteurs sont loin d’être majoritaires. Mais si le chaos gagnait le village, la préfecture, qui a depuis peu le dossier entre les mains, pourrait s’en mêler.

Xavier Breuil


Thierry Ehrmann: « J’assume »

L’instigateur de la maison du chaos n’a jamais refusé le dialogue et pense que tout cela va finir par s’arranger.

>Depuis combien de temps travaillez-vous sur cette oeuvre d’art ?
Cela a commencé en 1999. C’est à cette date que j’ai déposé un contrat en bonne et due forme aux autorités de tutelle. Tout y était prévu : de la description des oeuvres jusqu’aux techniques utilisées dans les moindres détails. J’ai même fait parvenir un double à la mairie à l’époque et je n’ai pas manqué d’informer régulièrement les habitants. Ma porte a toujours été ouverte et personne ne pouvait ignorer la nature de mes projets .
>C’est depuis que les artistes sont intervenus sur les murs extérieurs que le ton semble monter. N’avez-vous pas le sentiment d’aller trop loin ?
Une oeuvre d’art doit questionner. Marcel Duchamp disait qu’une oeuvre d’art qui ne dérange pas n’en est pas une. Le problème, c’est que certains ont arrêté l’art aux peintres impressionnistes, c’est à dire un tableau avec quelque chose de rassurant dedans. Récemment, une commissaire d’exposition qui a trente ans de métier m’a conforté. Pour elle, aucun élément ne constitue un élément distinctif de violence.
>Mais tous ces décors portent quand même une image de chaos inquiétante ? Y compris ce panneau signé Ben annonçant la fin du monde ?
Mais c’est du second degré ! Et puis ce n’est pas un décor, mais une oeuvre d’art. Un décor doit être beau. Une oeuvre d’art n’obéit pas aux mêmes critères.
>Justement, vos détracteurs vous reprochent d’imposer votre vision de l’art. Avez-vous ce sentiment ?
Je comprends ces réactions dans la mesure où une part de secret nécessaire a entouré la construction de l’oeuvre. Mais je ne pense pas imposer car cette oeuvre monumentale va devenir un musée dont le siège social existe déjà depuis trois ans. A partir de là, tout va être plus facile. Et je n’ai jamais refusé le dialogue avec les gens .
>Comment cela se passe avec eux ?
Très bien. Quand on parle avec gentillesse et que l’on explique, cela donne de rencontres formidables. Je n’ai connu que deux fois des agressions verbales violentes. Les Saromagnots me connaissent. A chaque biennale d’art contemporain, j’offre trois places par foyer. Plus de deux foyers sur trois m’en ont fait la demande lors de la dernière édition
>Et que dites-vous aux habitants dont les vérandas sont rejetées par les Bâtiments de France ?
Ils se braquent et c’est logique. Mais le code de l’urbanisme exclut l’art de son champ d’application. C’est la loi. Je pourrais me réfugier derrière, mais cela n’a jamais été mon intention. J’ai un devoir moral d’expliquer et je compte bien continuer à l’assumer. Et convaincre .

Propos recueillis
par Xavier Breuil


Le rouleau compresseur

Thierry Ehrmann est le fondateur, et détenteur à 95 %, du Groupe Serveur. Fondé à Lyon en 1987, le Groupe Serveur est devenu un acteur majeur des banques de données judiciaires, juridiques et économiques. Il gère 13 sociétés, dont Artprice, le leader mondial de l’information sur l’art. Rien n’arrête ce patron anticonformiste, qui s’est lancé depuis 1999 dans la transformation du Domaine de la Source, à Saint-Romain-au-Mont-d’Or, en une oeuvre d’art monumentale. Une communion de création à laquelle des dizaines d’artistes collaborent, et où sera bientôt ouvert le Musée l’Organe.  » L’Esprit de la Salamandre », le nom de cette oeuvre, sera à la fin de l’année un ouvrage à l’iconographie abondante, et aux nombreuses interviews expliquant la théorie du chaos. Pour sans doute mieux comprendre les travaux de ce personnage hors normes, dont la vision du monde a été profondément marquée par les attentats du 11 septembre.

X.B.

copyright ©2004 Le Progrès – Mercrdi 8 septembre 2004

Communiqué du Collectif des artistes de la Demeure du Chaos

Le collectif des 45 artistes de la Demeure du Chaos, après lecture des motifs du jugement du 16 février 2006 et de son dispositif, considère avant tout autre commentaire comme une véritable victoire la reconnaissance, au regard de la justice, du statut d’œuvre d’art pour la Demeure du Chaos (cf p. 13 du jugement « la Demeure du Chaos est indiscutablement une œuvre d’art »).

Le collectif rappelle que lors de l’audience du 10 novembre 2005, le conseiller aux Arts plastiques de la Direction Régionale des Affaires Culturelles (D.R.A.C.) avait témoigné sous serment de la nature indubitable d’œuvre d’art de la Demeure du Chaos.

Cependant, le Tribunal a appréhendé La Demeure du Chaos comme une œuvre d’art unique et retenu qu’à ce titre elle aurait dû faire l’objet d’une déclaration de travaux préalable dès lors que, selon le jugement, son volume serait supérieur à 40 m3 (article R421-1 du Code de l’urbanisme).

Avec le plein soutien du collectif des 45 artistes de la Demeure du Chaos, Thierry Ehrmann a décidé de relever appel du jugement .
Au delà du débat juridique qui se poursuivra devant la cour d’appel, et sans préjudice d’une solution d’apaisement qu’ils souhaitent et qu’ils s’emploieront à rechercher, Thierry Ehrmann et les artistes collaborateurs ne peuvent considérer comme satisfaisante une décision qui, bien qu’elle reconnaisse le caractère artistique de la réalisation en cause, en ordonne en substance la destruction .

Thierry Ehrmann et le collectif des artistes tiennent en toute hypothèse à réaffirmer leur respect pour l’entourage de la demeure du Chaos, qu’il s’agisse des nombreux admirateurs ou des détracteurs, et leur volonté de voir leurs œuvres, objet intellectuel fondamentalement non-violent, s’insérer au mieux et au plus tôt dans le paysage physique et psychologique de Saint-Romain.

Le Collectif des artistes de la Demeure du Chaos.

Je vais entrer en guérilla

Je vais entrer en guérilla

CONDAMNÉ À REMETTRE LA DEMEURE DU CHAOS EN ÉTAT ET À PAYER 120 000 EUROS D’AMENDE, THIERRY EHRMANN EST DÉCIDÉ À SE BATTRE JUSQU’AU BOUT.

 » Pourquoi vous avez été condamné ?
Thierry Ehrmann : Les magistrats ont considéré que la Demeure du chaos ne pouvait pas être protégée par l’article R 421 du Code de l’urbanisme, qui prévoit qu’une œuvre d’art est dispensée de permis de construire et d’autorisation de travaux. Une loi qui protège la création artistique.

C’est une sévère défaite pour vous !
Non, car les magistrats ont reconnu que la Demeure du chaos était une œuvre d’art. En s’appuyant sur l’avis du conseiller aux arts plas-tiques, qui représente le ministère de la Culture dans la région. Ce qui est une vraie victoire. Le problème, c’est que dans la loi une œuvre d’art doit mesurer 12 m de haut et 40 m3 maximum. Or les magistrats ont considéré que la Demeure du chaos était une seule et même œuvre. Du coup, elle dépasse largement ces dimensions prévues par la loi et elle n’est plus protégée par l’article R 421.

Au fond, ça ne vous paraît pas légitime ?
Je vais entrer en guérilla contre la mairie. Car je suis désormais enragé. J’ai décidé, avec les 45 artistes, d’attaquer le maire pour atteinte à la liberté d’expression et acte de barbarie. Car Dumont, le fossoyeur, est un réactionnaire qui s’attaque tout simplement à une démarche culturelle. Mais je vias également constituer une liste aux prochaines élections municipales pour l’affronter.

Mais vous serez obligé de remettre en état votre maison ?
Non, je vais demander à des artistes du monde entier de venir travailler 24 heures sur 24 à la Demeure du chaos, jusqu’au jugement en appel. Et pour celà, je vais engager une grande partie de ma fortune. Car je suis déterminé à défendre ma liberté d’expression jusqu’au bout. D’ailleurs, de nombreux Lyonnais me soutiennet dans cette démarche : plusieurs milliers de personnes ont manifesté spontanément à Saint-Romain-au-Mont-d’Or le week-end du 25 février pour défendre la Demeure du chaos. Et beaucoup ont déjà signé la pétition de soutien. Ce qui montre que les gens sont encore capables de se mobiliserµ.

Mars 2006 – N°156
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guérilla

Le Chaos s’intensifie dans les Monts d’or

13 mars 2006

Le Chaos s’intensifie dans les Monts d’or

Le procès engagé par la mairie de St romain et le déferlement médiatique afférent ont-ils eu un effet sur la fréquentation dominicale de la Demeure du Chaos ? Nos intrépides reporters se sont rendus sans invitation chez Thierry Ehrmann.

Dimanche 12 mars 2006. A l’heure du thé, plusieurs centaines de badauds déambulent dans les rues calmes et paisibles de la petite commune des Monts d’or. Des gens du peuple, avec poussettes et marmaille tout droit sortis de leur Xsara Picasso (ce qui leur confère une légitimité supplémentaire), des amoureux se baladant main dans la main comme à la fête foraine (en attendant de monter dans le train fantôme), des jeunes baba cool hirsutes et dépenaillés (la France de demain) et même trois représentants du gotha lyonnais en Loden bleu marine qui nous ont instamment demandé de ne pas révéler leur identité)… On ne pourrait rêver meilleur casting !

Thierry Ehrmann

Après le procès et les reportages en tous genres (dernier en date sur France 3 samedi midi), l’affluence est donc au rendez-vous ! « Merci Monsieur le Maire ! » doit songer Thierry Ehrmann au milieu de cette foule bigarrée. « Pierre Dumont, plus fort que Jacques Séguéla ! » serions nous tentés d’ajouter. En ce dimanche ensoleillé, l’iconoclaste agitateur a accepté de sortir de sa tanière afin de répondre aux questions d’une trentaine d’étudiants de Lyon II (fort reconnaissables à leur accoutrement) qui, en pleine contestation anti CPE, sont venus prendre des cours de subversion ! Avec Thierry Ehrmann en conférencier, ils ne pouvaient rêver meilleur TP ! A la sortie, passage obligé devant « la Maison de l’Eden » qui oppose désormais sa déco flashy au noir destin de la « Demeure du Chaos ». L’agitation va-t-elle gagner tout Saint Romain ? A suivre…

13 Mars 2006
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Tout le monde signe pour Ehrmann

Tout le monde signe pour Ehrmann

Par Philippe Brunet-Lecomte

Vous avez tous vu « La folie d’un milliardaire », l’autre soir sur France 2 dans Envoyé spécial. Et vous n’étiez pas les seuls puisqu’on était près de 5 millions à être scotchés, malgré l’heure assez tardive. Un documentaire exceptionnel bien sûr, puisqu’il a été produit par LM Production, la filiale image de Lyon Mag’ ! 26 minutes pour raconter l’aven-ture d’un Lyonnais qu’on aime bien, Thierry Ehrmann, mais sur lequel on a porté un regard sans complaisance. Et il faut rendre hommage ici à la téna-cité d’un fidèle de Lyon Mag’, Loïc Tanant, le réalisateur de ce film, et au talent d’Eric Soudan, le patron du service photo de Lyon Mag’, qui a tenu la caméra. Mais aussi à toute l’équipe qui s’est mobilisée pour ce docu-mentaire, sans oublier Noon, la société de production parisienne qui nous a aidés en nous accom-
« La Demeure du Chaos, c’est une petite étincelle dans l’obscurité »

pagnant dans cet univers de la télé. Ce qui souligne la volonté de Lyon Mag’ de s’ouvrir à une autre culture, celle de l’audio-visuel. Et ce n’est qu’un début puisque plusieurs autres films sont en préparation. Sans oublier Lyon Mag’ Télé, notre DVD encarté chaque mois dans Lyon Mag’, qui commence à s’impo-ser. A une époque où la presse, notamment à Lyon, traverse une crise profonde avec la montée du gratuit, il ne suffit pas de pleurnicher. Il faut inventer, prendre des risques… Et vous pouvez compter sur nous !

D’ailleurs, l’exemple de Thierry Ehrmann est saisissant
Car la Demeure du Chaos, c’est au fond une petite étincelle dans l’obs-curité. Un sursaut face à la crise. Car un jour, il y a cinq ans, alors que ce pionnier de l’internet était encerclé, traqué et frappé par les attentats du 11 septembre, il a eu une intuition géniale : accep-ter sa mort et la mettre en scène. Mise en scène symbolique bien sûr. Artistique. Une belle leçon, car face à la crise, il faut savoir monter d’un cran, en quittant la salle des machines pour mon-ter sur le pont, la tête dans les étoiles.
Voilà au fond comment est née cette incroyable Demeure du chaos qui, jusque-là, n’était qu’un banal ramassis de pierres dorées de l’Ouest lyonnais. Voilà com-ment cette maison de « bourges » est devenue un formidable chan-tier avec des dizaines d’artistes en liberté. Cinq ans de délire, de création, de liberté. Et voilà aussi comment Thierry Ehrmann

Bien entendu, il a fallu qu’un élu et un magistrat imbéciles s’interposent Le maire de Saint-Romain-au-Mont-d’Or où se trouve la Demeure du Chaos, qui a porté plainte. Et le juge qui a condamné cette maison à être détruite. Un poli-tique et un magistrat, sacré duo pour cet éternel jeu de rôle qui consiste à dire non à tout ce qui dérange les habitudes, les certitudes et les convenances. Comme des clébards qui aboient au moindre inconnu qui passe. Ils aboient, mais la caravane passe.

Voilà pourquoi il faut tous se lever et signer pour Ehrmann.
Signer sa pétition qu’on a encartée dans Lyon Mag’ et qu’on va encarter dans les cinq autres magazines du groupe Lyon Mag’, qui paraissent dans les semaines qui viennent : Lyon Femmes, Le Nouvel Objectif, Lyon Générations, Lyon Découvertes et même Lyon Foot ! Plus de 100 000 cartes pos-tales avec un texte très court, très sim-ple. Et on va en distribuer autant dans les rues de Lyon mais aussi en expédier dans les boîtes aux lettres de l’agglomération. Pourquoi cette mobilisation géné-
« Pas question de laisser détruire la maison d’Ehrmann par les bulldozers  »

rale ? Parce qu’Ehrmann est un symbole fort face au pouvoir. Pas question de laisser détruire sa Maison du Chaos menacée par les bulldozers. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, que ce personnage nous inquiète ou nous séduise, qu’on le considère comme un génie, un voyou ou un cinglé… Peu importe, il faut signer pour Ehrmann, car au fond c’est un peu d’espoir au cœur de cette crise qui nous paralyse. Car ce patron artiste nous montre que dans la tempête il faut avoir le pied marin. C’est-à-dire être souple, avoir du culot, inventer… Et surtout ne pas avoir peur. L’art comme solution. L’irrationnel comme seule vraie logique. Allez, on signe sans hésiter cette petite pétition contre les bulldozers de la rationalité. Il faut 100 000 signatures pour Ehrmann et son chaos. Avant que la cour d’appel s’en mêle, sans doute au printemps prochain

Pétition encartée dans Lyon Mag

Mars 2006 – N°156 page 7

copyright ©2006 Lyon Mag’

Pierre Dumont et Thierry Ehrmann répondent à leurs détracteurs

EST LYONNAIS – MONTS D’OR

SAINT-ROMAIN-AU-MONT-D’OR

Pierre Dumont et Thierry Ehrmann répondent à leurs détracteurs

Nous avons publié jeudi une page spéciale dans laquelle nos lecteurs se sont exprimés de façon la demeure du chaos. Pierre Dumont, le maire de la commune-, et Thierry Ehrmann, l’instigateur ont accepté de répondre aux principales questions soulevées dans ce débat
«Je n’admets pas que cette vision soit imposée aux habitants»

Pierre Dumont, maire de Saint-Romain-au-Mont-d’Or

>> Est-ce pour vous une surprise de voir que des habitants de la commune sont favorables aux travaux de Thierry Ehrmann?
Pierre Dumont, maire de Saint-Romain au Mont d’Or: Non ce n’est pas une surprise, mais les contacts nombreux que j’ai avec la population montrent à l’évidence que les « pour » ne sont pas très nombreux. Je reconnais à chacun le droit d’apprécier mais je n’admets pas que cette vision soit imposée aux habitants. On ne peut pas imposer une approbation collective sur quelque chose d’aussi volontairement choquant »

>> Certains se demandent pourquoi il n’y a jamais eu de pétition ou autre mouvement, ce qui expliquerait l’absence d’une opposition franche au village. Que leur répondez-vous? Ceci n’est pas une forme très habituelle d’expression dans le village. Les gens « contre » n’ont pas nécessairement l’esprit révolutionnaire ou explosif. Les habitants s’expriment surtout en venant voir le maire ou ses adjoints, les conseillers aussi, pour exprimer leur désaccord, et plus souvent leur colère  » Des personnes vous reprochent de ne jamais avoir ouvert le débat localement. Que leur répondez-vous? Ce n’est pas à moi d’ouvrir le débat. Le conseil s’est expri:né et il a agi au regard de la loi, en tenant compte de la gêne qui est ressentie par beaucoup d’habitants. Je ne vois pas en quoi un débat aurait servi à quelque chose, car les habitants peuvent avoir d’eux-mêmes leur propre avis.

>> Certains pensent qu’il vaut mieux pactiser avec Thierry Ehrmann et préparer le village à son nouvel avenir. Qu’en pensez-vous? Mais à quel avenir peut préparer la chaos? A priori, tout le monde lutte contre la vision du chaos à travers la planète. Ce n’est donc vraiment pas une image d’avenir. L’avenir se prépare en fortifiant et en créant tout ce qui contribuera au bien-être des habitants. Je veux parler de l’école, des moyens associatifs, de l’urbanisme, des espaces publics. L’avenir d’un village, c’est la vie et non le chaos. Et surtout pas ce qui est fait pour heurter sa tradition et son histoire, pas plus que pour heurter les habitants, même si certains apprécient

>> La demeure du chaos semble cristalliser une division entre passéistes et modernistes dans le village. Qu’en pensez-vous? Depuis que l’homme est homme, il travaille a maîtriser son destin pour ne plus être le jouet de forces aveu-gles, pour vivre dans la paix et dans la prospérité. C’est cela la modernité. Le chaos, c’est le passé de l’homme qu’il n’a aucunement envie de revivre. En voulant tirer l’homme vers le chaos, Monsieur Ehrmann est d’ailleurs en parfaite contradiction avec lui-même. En effet, son activité professionnelle fait appel au niveau le plus organisé de notre société qui sont les moyens de communication qu’il utilise d’ailleurs très habilement. Il est membre et dépendant d’un réseau très organisé, tout le contraire du chaos. Que vient-il alors nous dire? Le passé, c’est bien son oeuvre, à moins que cela ne soit qu’une supercherie

Propos recueillis par Xavier Breuil

«Mon acte artistique s’inscrit dans la durée»

Thierry Ehrmann, propriétaire de la demeure du chaos

 » Vous dîtes souvent que vos détracteurs se comptent sur les doigts de la main. Le nombre de témoignages qui vont sont défavorables vous ont-ils surpris?
Thierry Ehrmann: Ce n’est pas surprenant en soi. Les détracteurs font partie intégrante de l’histoire de l’oeuvre par leur contribution, même négative. Leur rejet, que nous respectons, est une matière première indispensable que nous autres, artistes plasticiens, prenons en compte pour faire évoluer l’oeuvre. Ceci dit, le rejet ne porte pas sur l’esprit purement esthétique de l’oeuvre, mais bien sur l’idéologie que le spectateur attribue à son auteur

>> La plupart de vos détracteurs vous reprochent d’imposer votre vision du monde…
En tant qu’artistes, nous don-nons forcément une vision du monde et agissons plutôt comme des miroirs de l’his-toire et de l’actualité. Notre témoignage d’artiste sur ce début du siècle permettra aux générations futures de décrypter ce qui est aujourd’hui la fureur du monde depuis le 11 septembre. La question principale de cette oeuvre est sa confrontation permanente à autrui. Et c’est bien là son aspect novateur. Aucune autre n’a ce statut. Cette confrontation à celui qui le désire provoque des réactions. C’est le signe que l’oeuvre fonctionne au-delà d’elle-même  »

>> Beaucoup disent que votre demeure n’a pas sa place dans un charmant village, et évoquent un dédain des règles d’urbanisme…
Le postulat artistique de 1999 portait sur la déconstruction d’un domaine bourgeois. Quelle pire hypocrisie que de réaliser cette oeuvre dans des friches industrielles? Nous ne sommes pas moins respectueux des règles d’urbanisme que les personnes publiques ayant installé les colonnes de Buren au Palais Royal, le patineur de César à Lyon, ou la ZAC du bourg à Saint-Romain. Ces exemples montrent que l’urbanisme n’est pas un dispositif répressif et figé, qu’il admet la dissonance et la rupture. Le législateur a eu le souci de ne pas étouffer la création: l’article R421-1 du code de l’urbanisme dispense les oeuvres d’art du permis de construire et de déclaration de travaux

>> Un lecteur parle d’imposture, soulignant le paradoxe entre le chaos et le modernisme de vos installations
Le chaos est une notion universelle et intemporelle qu naît de la genèse du monde Elle s’accorde au contraire mieux que jamais à notre modernité. Sa transcription dans l’art est non seulement évidente, mais nécessaire L’incarnation de l’oeuvre, à travers le modernisme des installations, lui donne au contraire toute sa puissance dans le postulat artistique Cela dit, je suis à sa disposition pour en discuter plus longtemps

>> Pensez-vous avoir provoqué une division entre passéistes et modernistes dans le village? J’ai une histoire d’amour passionnelle pour Saint-Romain Mon acte artistique s’inscrit dans la durée. La demeure du chaos sera ma demeure pour l’éternité et je souhaite que plus tard, dans ce siècle tragique et somptueux, que les petits enfants des passéistes et modernistes du village puissent témoigner de leur fierté et que notre village, le plus beau de France, s’inscrive dans l’histoire de l’art

Propos recueillis par Xavier Breuil

copyright ©2006 Le Progrès de Lyon.

Culture l’évènement IL FAUT SAUVER LA DEMEURE DU CHAOS !

Culture l’évènement

IL FAUT SAUVER LA DEMEURE DU CHAOS !

En condamnant Thierry Ehrmann à remettre en état sa maison du chaos, le tribunal correctionnel de Lyon a fait au patron du groupe Serveur et à sa création très controversée un coup de pub exceptionnel (lire Lyon capitale de la semaine dernière). Jeudi 23 janvier, la diffusion d’un portrait de Thierry Ehrmann sur France 2 et TV5 dans « Envoyé spécial » a apporté à cette affaire un record d’audience télévisuelle. Désormais, les soutiens à la liberté de création affluent sur Internet : la pétition du collectif des quarante-cinq artistes de la Demeure du chaos avait reçu plus de 11 000 signatures lundi 27 février. Plus de 7 000 messages, souvent passionnés, admiratifs, drôles et rageurs, vantent le « génie » de Thierry Ehrmann. Par milliers, les curieux se pressent chaque week-end à Saint-Romain pour découvrir la désormais célèbre maison du chaos. Le buzz est parti, rien ne semble pouvoir l’arrêter. « L’œuvre est envahissante, même pour nous », reconnaît Thierry Ehrmann, dépassé par l’afflux de visiteurs, mais ravi par toute cette agitation qui nourrit son œuvre. Jusque-là, elle se développait dans le secret relatif de son antre et la controverse avec ses riverains. Aujourd’hui, elle croît au grand jour et se nourrit de tous ces apports extérieurs.
Depuis 1999, Thierry Ehrmann travaille, en partie dans l’ombre, à l’édification d’une œuvre originale très personnelle : déconstruire son superbe relais de poste du XVIIe siècle – siège de son domicile et de sa société, artprice.com – en paysage apocalyptique post-11 septembre. « Tout ce ‘ qui reste de l’apparat bourgeois doit se noyer dans un état de guerre », explique-t-il. En sept ans, une cinquantaine d’artistes et plus de 2 500 œuvres ont méthodiquement déconstruit, éventré, maculé son domaine de 1,2 hectare au cœur du village de pierres dorées, des murs d’enceinte aux salons de réception. Coulées de lave, signes cabalistiques et images d’actualité recouvrent les murs à demi calcinés de son domaine, tandis qu’un avion Dassault s’est écrasé dans son jardin et qu’une plate-forme pétrolière a été édifiée sur les toits. Bientôt, des plantes vivaces devraient envahir les sols, condamnant les visiteurs à emprunter des passerelles.
Aujourd’hui, l’œuvre a acquis une telle force artistique et invasive qu’elle semble condamnée à une inexorable progression. À ce stade, le coup d’arrêt de la justice et les attaques du maire ne peuvent que, paradoxalement, la renforcer. « La haine est nourricière », souligne Ehrmann, qui se dit regonflé à bloc par l’adversité ; il a d’ailleurs apposé neuf grands « permis de démolir » autour de sa Demeure (voir en dernière page). Mais à « la haine », Ehrmann a choisi de répondre par l’ouverture. Il prévoit d’accueillir des résidences d’artistes tout l’été et d’ouvrir sa Demeure aux arts vivants pour des lectures poétiques. Il réfléchit aussi aux modalités d’ouverture au public de la Demeure du chaos, en proposant sans doute une série de rendez-vous. Lundi 27 février, il a même écrit aux habitants de Saint-Romain pour apaiser les esprits : « Le collectif des artistes et moi-même avons besoin de votre soutien pour convaincre le maire que la volonté de ses administrés est avant tout d’arrêter cette guerre inutile et coûteuse à la collectivité pour ouvrir les portes de notre village sur le monde. » Ouverture et apaisement sauveront-ils une Demeure du chaos nourrie par la guerre ?

Anne-Caroline Jambaud

LES POLITIQUES LYONNAIS HORS JEU

La notoriété naissante de la Demeure du chaos attribue au paisible village de Saint-Romain-au-Mont-d’Or, commune du Grand Lyon, une publicité dont le maire et certains de ses administrés se seraient bien passés. Du même coup, elle place Lyon sur la carte des « spots » de l’art contemporain. « Dans te cercle de l’art contemporain, on commence vraiment à en entendre parler », selon Richard Leydier, d’Artpress, qui estime qu' »Ehrmann est en train de faire quelque chose de formellement unique; c’est énorme, intelligent spectaculaire, vraiment intéressant ». Ce que les politiques culturelles peinent à faire depuis des dizaines d’années, la Demeure du chaos, initiative 100 % privée, pourrait le réaliser en peu de temps. Pourtant, aucun élu du Grand Lyon – collectivité qui assure le portage politique de la Biennale d’art contemporain depuis 2005 – ne s’est publiquement ému de la démarche du maire de Saint-Romain. Ni du jugement demandant la remise en état, donc la destruction, de la Demeure du chaos. « J’en ai déjà discuté avec le maire de Saint-Romain, mais ce sont deux discours – celui de l’art contemporain et celui de la tranquillité publique – qui sont totalement étrangers et sourds l’un à l’autre « , explique Nadine Gelas, vice-présidente du Grand Lyon en charge notamment des grands événements comme les Biennales. L’élue se demande si l’institution politique a vraiment à se saisir de ce sujet : « Qu’il y ait du conflit n ‘est pas négatif ; l’art contemporain est fait pour perturber. Je ne suis pas sûre que vouloir arranger les choses et réconcilier les contraires soit la meilleure chose. »

copyright ©2006 LYON CAPITALE – Semaine du 28 février 2006 – N°560