Monts d’Or > Le patron du Groupe Serveur métamorphose sa propriété
LA DERNIÈRE FOLIE D’EHRMANN
Tandis que le domaine de la Source se métamorphose, au village de Saint-Romain, on se décompose. » Ce n’est pas tolérable », explique posément Pierre Dumont , le maire, qui décrit un village en « émoi ». Il parle d' »irrespect », d' »insulte à la loi ». Il estime que si chacun a le droit de faire ce qui lui plaît chez lui, et d’avoir son idée de l’art, il n’a pas à l’imposer au regard des gens, comme cela se passe avec la Demeure du Chaos. Une dénomination qui sème la consternation, dit-il, parmi ses administrés. Celui par qui le désordre arrive, c’est Thierry Ehrmann, le pdg du Groupe Serveur. Un monsieur connu entre autres pour son non-conformisme et son goût de la provocation. En 1999, il décide de transformer son domaine en œuvre d’art. Un chantier dont il est le maître d’œuvre et d’ouvrage. Visite à la Demeure du Chaos.
Transmutation > VISITE A LA DEMEURE DU CHAOS
L’ŒUVRE AU NOIR DE THIERRY EHRMANN
CHAHUTÉ, le régulier ordonnancement des murs du domaine de la Source, au cœur des Monts d’Or des échancrures ménagent des échappées insolites, les surfaces s’hérissent de blocs anthracites. Maculée de noir, barbouillée de rouge, parcourue parfois de signes d’initiés, de symboles ou d’inscriptions mathématiques, la fameuse pierre dorée en voit de toutes les couleurs. Evidemment, ça surprend. Comme ce Christ en croix au-dessus d’un œculus, ou ces salamandres dont le dessin se répète. A l’intérieur, même registre. Un mélange de Grozny et de Gaza. Les prémices d’un paysage de guerre. Cratères, météorites, carcasse de voiture… Toute la violence du monde en raccourci. Une désolation organisée qui n’en est qu’à son commencement. Bientôt des météorites auxquels des sculpteurs mettent la dernière touche viendront en simulacre écraser le toit de la bâtisse, tandis que la piscine accueillant silures et météorites se métamorphosera en aquarium rouge sang… Quelques phrases de Ben accrochées ça et là sur les diverses façades distillent leur second degré, tandis que des têtes de morts, vanité tout n’est que vanité, nous rappelle l’Ecclésiaste…
Le détournement par son propriétaire de cet ancien relais de poste du XVIIIème siècle mâtiné demeure bourgeoise est singulier. A la fois naïf et complexe dans ses visions de chaos et de mort, qui mêlent le religieux et le cabalistique, le bouffon et le grave. Mais il y a, à ces convulsions baroques, à ces pierres martyrisées par le feu, à ces lignes droites systématiquement brisées, une curieuse « beauté ». Celle du bizarre. Et une mystérieuse étrangeté. On pense à la demeure d’un original illuminé. C’est celle de thierry Ehrmann, pdg du groupe Serveur, homme d’affaires efficace et redoutable, figure peu orthodoxe de l’économie lyonnaise.
L’homme est connu, notamment, pour son non-conformisme et son goût pour l’art. Artprice.com, une banque de données sur Internet devenu leader mondial de l’information sur le marché de l’art, c’est lui. Dans son domaine de Saint-Romain-au-Mont-d’Or, 3 hectares et 7 000 mètres carrés habitables où il a installé en 1999 le siège de son groupe, ses activités professionnelles et sa famille, et où s’érigera début 2005 son musée – dans un « bunker » d’artiste semi-enterré-, il se pose en démiurge et joue à l’alchimiste. Il peaufine un grand œuvre dont la Demeure du Chaos, ainsi s’appelle le domaine en (trans)mutation, est l’expression éxotérique. Entendez ce qui se donne à voir au public et à la population de Saint-Romain-au-Mont-d’Or qui d’ailleurs s’en inflige et s’en inquiète. (Lire plus bas les propos de Pierre Dumont, maire de la petite commune). Pourquoi s’attaquer, s’interroge-t-elle, à un patrimoine que d’autres bichonnent, entretiennent, quand ils ne vont pas jusqu’à leur consacrer des Journées ? « La valeur vénale du bien immobilier commençait à me sortir par les yeux ». Ainsi thierry Ehrmann explique-t-il une des origines, en 1999, de l’Esprit de la Salamandre, la partie ésotérique de son grand œuvre, et dont le sous-titre pourrait être « Comment transformer sa maison bourgeoise en œuvre d’art ». Ce projet artistique, scellé d’un contrat en bonne et due forme, notre homme n’est pas juriste pour rien, il dépose officiellement auprès de la Société des Auteurs. Désormais à l’abri des tracasseries du code de l’Urbanisme, les œuvres d’art n’entrant pas dans son champ d’application, thierry Ehrmann et ses associés, à l’origine, ses deux fils et un artiste se mettent à l’ouvrage. Ils sont à présent plus d’une vingtaine, peintres et sculpteurs, à œuvrer, telle une confrérie de compagnons, au domaine de la Source, où les engins de chantier ne sont pas les moindres de leurs outils. L’idée du chaos qui préside à la déconstruction systématique des lieux et prend allègrement à rebrousse-poil la conception classique de la Beauté et de l’œuvre d’art, imposant une vision de dissonance brutale, de provocation dérangeante, de choc esthétique, a semble-t-il évolué dans l’esprit de thierry Ehrmann. Partie du chaos que les sciences dures ont théorisé au siècle dernier, démontrant tout en posant le principe d’incertitude qu’il y a de l’ordre dans le désordre, sa réflexion a rencontré un certain 11 septembre lequel l’a orienté sur la destruction du monde. D’où ces formes organiques, ces images de mort, cette iconographie éclectique – « de la Tchétchénie aux lois Perben » -, témoignant de sa propre vision du monde et des convulsions de celui-ci. Malgré les apparences, il s’agit moins pour thierry Ehrmann d’anticiper la fin du monde que sa transformation.
Evidemment, la polysémie des signes et la pluralité des discours brouillent les lectures, rendant tout ce grand œuvre un peu confus pour qui n’y participe pas. C’est-à-dire, la majorité.
L’autre sous-titre à l’Esprit de la Salamandre, « Comment révéler les failles inhérentes au système, détourner légalement les codes et décrets », trahit une autre et intéressante spécialité de Thierry ehrmann, celle de « performer » en droit. Un art original dont il est à notre connaissance, le seul représentant. Provoquer les lois et le droit, voilà son sport favori. Le droit, pour lui, c’est ce qui permet de prendre la température de la société. Et rien ne semble plus lui plaire que de faire monter cette température. Juste pour voir jusqu’où on peut aller dans ce jeu là. Nul doute que ce questionnement du législateur passe par la Demeure du Chaos.
A chacun son Palais Idéal. Le facteur Cheval, d’ailleurs, ne semblerait pas si éloigné de la Demeure du Chaos, si ce n’était que rien n’est plus étranger au maître des lieux que l’art brut. Plus qu’un rêve, plus qu’une utopie, c’est une idée qui entend prendre forme au Domaine de la Source. Une posture qui veut s’incarner dans l’Esprit de la Salamandre. Champion de la performance juridique, thierry Ehrmann se pose également en singulier de l’art conceptuel.
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« Une insulte à la loi »
Tandis que le domaine de la Source se métamorphose, au village de Saint-Romain, on se décompose. « Ce n’est pas tolérable », explique posément Pierre Dumont, le maire qui décrit un village « en émoi ». Il parle d' »irrespect », d' »insulte à la loi ». Il estime que si chacun a le droit de faire ce qui lui plaît chez lui, et d’avoir son idée de l’art, « si on peut appeler ça de l’art », il n’a pas à l’imposer au regard des gens, comme cela se passe avec la Demeure du Chaos. Une dénomination qui sème la consternation, dit-il, parmi ses administrés, qui, second degré ou pas, ont du mal à accepter la chose avec ses démonstrations de fin du monde. « C’est terrifiant. » Pour Pierre Dumont qui entend tout faire pour trouver la parade, « c’est de la provocation pure et simple. Ce que veut ce monsieur, c’est qu’on parle de lui. C’est tout. »
L’idée qu’à terme cette bizarrerie de Thierry Ehrmann puisse attirer du monde à Saint-Romain ne l’intéresse pas. « A quoi cela servirait-il ? A ce qu’il y ait beaucoup de curieux dans le village ? A provoquer des embouteillages ? On veut vivre dans le calme. » A juste titre et à bon droit. Un calme, qui selon lui, a déserté les habitants. « Les gens ne parlent plus que de cela ». Bref, la Demeure du Chaos empoisonne la vie non seulement de ses voisins qui dépriment, mais de la communauté. « Allez leur faire comprendre, maintenant qu’ils n’ont pas le droit de peindre en violet ou en jaune leurs volets, alors qu’ils ont sous les yeux de tels débordements ? Il y a un problème. Ou alors c’est la loi qui est mal faite. » CQFD ?
N.G.
Nelly GABRIEL
Lyon Figaro – Mercredi 22 septembre 2004
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thierry ehrmann